Le théâtre d’Olivier Dhénin Hữu

 

L’œuvre

Poète et dramaturge, le travail d’écriture de Olivier Dhénin Hữu se tourne essentiellement sur la poésie du langage, l’expression muette des actions et le silence des personnages. En construisant une œuvre littéraire sensible et lyrique, axée sur la fuite du temps et le deuil du souvenir, il vise à toucher l’inconstance et la fragilité de l’être humain. Après ELLÉNORE, drame lyrique qui s’inspirait du « Sturm und Drang », il écrit plusieurs pièces : ANDREAS/MAELSTRÖM, RICERCARE, CENDRES, les FEUILLETS D’AUDELIN, LA CANTATE DE TRISTAN DE LOONOIS.

Son adaptation du « Grand Meaulnes », LA FÊTE ÉTRANGE, est représentée dans le cadre des célébrations nationales du centenaire du roman d’Alain-Fournier en 2013. CORDELIA-REQUIESCAT, réécriture du « Roi Lear » composée pour le Printemps des Poètes 2013, est créée au Théâtre de Belleville à Paris en 2016 pour les 400 ans de Shakespeare.

En 2017, Olivier Dhénin Hữu est écrivain-lauréat de la Fondation des Treilles fondée par Anne Gruner Schlumberger où il achèvera sa trilogie L’ORDALIE.

 

La bascule et le point de dentelle

Isabelle Barbéris
Maître de conférences en arts du spectacle à l’Université de Paris 7

Il n’est pas souvent permis de parler d’une œuvre aussi originale et exigeante que celle d’Olivier Dhénin. Décalée, aurais-je envie d’ajouter, par la cohabitation qu’elle permet, entre une profondeur littéraire surannée souvent au bord de l’érudition et du maniérisme d’un côté, et, de l’autre, la représentation de la brutalité originelle – sous les déguisements d’une langue savamment policée. Le drame, tel qu’il est ici inventé, travaille à un des ressorts essentiels du théâtre : le moment irrémédiable où l’innocence du jeu de rôles bascule dans la violence des conflits adultes, en laissant en sous-texte la fatalité (et l’indiscernabilité) de ce point de bascule.

Cette œuvre, tant préocuppée de théâtre, de musique que de poésie, ne parle la langue de personne, mais nous fait entendre des voix. Dans le théâtre d’Olivier, les enfants prennent part à l’action; ce sont non seulement eux qui la guident, mais eux qui en sont les derniers capables. La crise de l’action dramatique, le drame de l’impuissance se résoud à travers cette figure à la fois épique et avançant à l’aveuglette… mais pas au hasard: l’enfant. L’enfant, c’est, bien entendu, celui qui sait et qui voit tout – et qui, ironie dramatique, posera sa devinette au spectateur. La scène est pour lui un endroit sans maître, sans explication, sans répétition. Redonner la parole au mineur et le laisser faire, prendre des risques, s’aventurer de l’autre côté, tel est l’enjeu le plus politique de ce théâtre avançant sous le masque du pasticcio.

Ces enfants raisonneurs et lucides à l’extrême, à qui Olivier prête sa langue, éveillent chez nous un sentiment d’inquiétante étrangeté, car ils nous renvoient à nous-mêmes, c’est-à-dire à notre vieille humanité, à une époque où, précisément, l’enfance a rétréci, tandis que l’adolescence, cet état d’inachèvement, s’étire et se perpétue. Une époque d’emprunt où l’on est tous infans, où l’on ne sait plus que parler les mots des autres, dans l’appris-par-coeur de raisonnements déconnectés, de sentiments inculqués, de mots lourds à porter – comme celui d’”amour”, qui, entré en politique, fait plus que jamais partie du discours de la Loi. Ainsi nous retrouvons-nous, dans leur éloquence prématurée, leur innocence contrariée, leur volonté éperdue d’être “grands”, leurs rêves inachevés, leur conscience des léviathans cachés.

Le travail d’Olivier Dhénin me fait penser à celui de la dentelière, et sa langue à un tissu laissant passer le jour dans les méandres d’un dessin imaginaire. Si j’emprunte cette métaphore artisanale, c’est parce que la découpe des phrases, le certissage des mots, le brossage de la couleur locale, la découpe du tableau de genre, chez Olivier, nous entrainent, dans chaque pièce, à l’atelier de la langue, au goût du dialogue, au plaisir de mots ronds, glissants comme les lourdes perles d’un collier.